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Divers

Mes débuts

By 5 août 2022août 15th, 2022No Comments

Mes débuts

À 20 ans, je suis sec­onde assis­tante de réal­i­sa­tion à la Télévi­sion Hon­groise, au départe­ment Jeunesse et Enfance. Sa vaste palette de pro­duc­tion s’étend des émis­sions de plateau aux films de fic­tions et d’animations. Les pro­grammes, aux­quels je par­ticipe, sont loin de toute préoc­cu­pa­tion poli­tique ; pen­dant 4 ans, je vis une sorte d’insouciance. Issue de la classe « enne­mie du peu­ple », je suis à l’abri, à con­di­tion de ne pas décevoir.

Comme toute assis­tante, je suis partout : depuis la pré­pa­ra­tion jusqu’au tour­nage. Il faut être per­for­mante, aus­si bien face à des comé­di­ens que face à un plateau rem­pli de 150 gamins, être capa­ble de répar­er des mar­i­on­nettes, etc., etc.

J’apprends et j’absorbe la méth­ode de tra­vail des réal­isa­teurs qui m’ont choisie pour faire par­tie de leur équipe. Au bout de 4 ans, je sais ce que je veux faire dans ma vie : la réalisation !

En 1967, après 4 ans d’interruption, l’École de Ciné­ma ouvre une nou­velle pro­mo. Pou­voir faire ses études dans cette école pres­tigieuse est proche d’un rêve ! Je dépose ma can­di­da­ture, sans y croire, comme 1600 de mes semblables.

Le con­cours dure 10 mois, en élim­i­nant la majorité des pos­tu­lants à chaque étape. Il se ter­mine par la réal­i­sa­tion d’un petit court-métrage de 4 min­utes max­i­mum, en 16 mm. Deux can­di­dats, un futur réal­isa­teur et un de futur directeur de la pho­to doivent faire équipe pour le tourn­er. Je suis encore dans la course…

Au moment du tour­nage et pour la pre­mière fois de ma vie, je suis au ser­vice d’une idée per­son­nelle qui va se matéri­alis­er sur l’écran. Peu importe l’enjeu : je me sens dans mon élé­ment, en har­monie avec moi-même.

Vic­toire ! Je suis admise à l’École de Ciné­ma ! Nous sommes 16 reçus et moi la seule fille !

Le pre­mier matin, nous somme accueil­lis par nos deux pro­fesseurs prin­ci­paux, János HERSKO et Györ­gy ILLES.
Comme tous les pro­fesseurs, ils sont des pro­fes­sion­nels en exer­ci­ce, l’un est réal­isa­teur, l’autre est un immense directeur de pho­to du Ciné­ma Hon­grois. Ensem­ble, ils nous tien­nent ce dis­cours : « Nous sommes con­scients que vous êtes tous des génies ! Mais pour l’heure, oubliez ça. Ici vous allez appren­dre le b.a.-ba du méti­er et quand vous serez en pos­ses­sion des règles, vous pour­rez les trans­gress­er, mais pas avant ! »

Et les cours démar­rent. L’emploi du temps occupe 12 heures par jour. Les matières vont enrichir notre cul­ture générale et nous appren­dre la tech­nique. Ain­si, nous étu­dions aus­si bien la lit­téra­ture, la philoso­phie, la musique, l’esthétisme, l’histoire de l’art et du ciné­ma que la sen­sit­o­métrie, les tech­niques audio, le développe­ment de la pel­licule, les caméras, l’éclairage, le mon­tage, la vidéo, etc.

L’École pos­sède un plateau de ciné­ma et un stu­dio vidéo, révo­lu­tion­naire pour l’époque. Sous la direc­tion de notre pro­fesseur de réal­i­sa­tion (Her­sko), nous nous exerçons à l’art de l’interview et de la direc­tion d’acteurs.

Nous dis­posons égale­ment un stu­dio vidéo, instal­la­tion révo­lu­tion­naire pour l’époque. Sous la direc­tion du pro­fesseur de réal­i­sa­tion, Her­sko, nous nous exerçons à l’art de l’interview et de la direc­tion d’acteurs.

La vie poli­tique entre soudain dans ma vie par l’arrivée, en début d’année d’étude, d’un de nos cama­rades. Tout juste libéré de son ser­vice mil­i­taire, il vient de Prague où il a par­ticipé, bien mal­gré lui, à l’invasion de la Tché­coslo­vaquie par le Pacte de Varso­vie. Il nous relate des événe­ments dont nous igno­ri­ons tout, car la presse a passé sous silence le « Print­emps de Prague »… Nous sommes en 1968.

À l’École, nous vivons dans deux mon­des : celui de l’extérieur et l’autre à l’intérieur. Notre pro­fesseur nous prévient dès le départ : « Ici, en classe, vous pou­vez vous exprimer libre­ment. Mais jamais, au grand jamais, je ne veux avoir un écho de nos pro­pos, venant d’ailleurs ! Je défendrai vos films face aux autorités, mais à cette seule condition ! »

Il respectera sa promesse et nous aus­si. Pen­dant deux ans, ensem­ble, nous analysons la vie poli­tique, les out­ils de la pro­pa­gande pour mieux les con­tourn­er. Nous cri­tiquons le sys­tème com­mu­niste dans nos films avec de plus en plus d’habileté, util­isant les sous-enten­dus, les sym­bol­es, la ruse, le clin d’œil.

En fin de pre­mière année, le film d’examen est oblig­a­toire­ment un documentaire.

J’ai cher­ché pen­dant des mois un sujet, en vain. Chaque idée me sem­blait dépourvue d’intérêt. J’étais dés­espérée, voy­ant les cama­rades qui foi­son­naient d’idées. C’est alors que mon pro­fesseur, avec tact et gen­til­lesse m’a ouvert les yeux sur moi-même. Il m’a fait pren­dre con­science que le seul sujet que je devrais abor­der, c’est mon enfance et le divorce de mes par­ents. Tant que je n’ai pas réglé cette prob­lé­ma­tique, inutile de vouloir par­ler d’autre chose.

Je me suis lancée dans la réal­i­sa­tion de ce film très per­son­nel, inti­t­ulé : « Nous et Moi ».

Au moment de sa pro­jec­tion, le film a sus­cité des réac­tions divers­es : un grand nom­bre a appré­cié ma sincérité, mes solu­tions de mise en images et égale­ment le « courage » de mes par­ents. D’autres m’ont fustigée pour mon manque de pudeur, en dis­ant : l’écran n’est pas un endroit pour déballer sa vie privée. Mais le pro­fesseur Her­sko a envoyé le film à un fes­ti­val en Allemagne…

Juste avant les exa­m­ens de fin de 2ème année, Her­sko, quit­tera illé­gale­ment et en secret la Hon­grie. C’est la stu­peur générale… Il expli­quera dans de nom­breuses let­tres les raisons de sa déci­sion et de son désac­cord pro­fond avec le régime en place. Ses des­ti­nataires sont des dirigeants du pays, des instances de la vie cul­turelle et… moi ! Mais ça, je ne le saurai que des années plus tard !!! Cette let­tre a prob­a­ble­ment rejoint mon « dossier » à la police secrète d’état. Je ne l’ai jamais lue…

Après le départ de notre men­tor, nous, ses étu­di­ants, devenons des orphe­lins… D’autres pro­fesseurs ont pris le relais dans la classe, avec d’autres méth­odes et d’autres affinités.

Deux ans plus tard, je quitte la Hon­grie à mon tour pour venir vivre en France. Mais ce départ n’a aucun con­tenu poli­tique : je rejoins l’homme que j’aime…