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Divers

Mon enfance en Hongrie

By 6 août 2022août 15th, 2022No Comments

Mon enfance en Hongrie

Je me rap­pelle avec émo­tion cette enfant que j’étais. Comme tous les enfants de la terre, je voulais être heureuse, sous la pro­tec­tion de mes parents.

Mais en 1944, l’année de ma nais­sance, le vent de la lib­erté qui com­mençait à souf­fler en Occi­dent, s’est heurté aux bar­rières négo­ciées à Yal­ta. Der­rière le Rideau de fer, la dic­tature fas­ciste a lais­sé place à la « Dic­tature du Pro­lé­tari­at », imposée par les Soviétiques.

Grandir entre peurs et dis­sim­u­la­tions a été la vie quo­ti­di­enne de ma généra­tion. Enfants, enrôlés comme « petits pio­nniers » avec le foulard rouge autour du cou, nous avions l’obligation d’admirer les dirigeants com­mu­nistes, en pre­mier Staline le « petit père du peu­ple ». Il fal­lait leur être digne.

Notre admi­ra­tion ne pou­vait subir aucune faille et si jamais quelques pen­sées coupables nous effleu­raient l’esprit, nous devions faire notre « aut­o­cri­tique » le matin à l’école. Bien enten­du, sur­veiller nos par­ents fai­sait par­tie de nos oblig­a­tions pour pou­voir rap­porter ce qui se dis­ait à la mai­son ou si on écoutait la radio inter­dite : « Free Europe ».

Pour­tant nous l’écoutions… Les par­ents, l’oreille col­lée sur la façade du poste, doigts sur le gros bou­ton du tuner, essayaient de con­tre­car­rer le brouil­lage qui – avec son va-et-vient réguli­er – a lais­sé pass­er les bribes des nou­velles du Monde. En les réé­coutant, car dif­fusées toutes les 20 min­utes, nous sommes tous devenus des experts en « reconstruction ».

En gran­dis­sant, nous, les enfants, nous avons appris à se méfi­er. Ne jamais par­ler de cer­tains sujets au télé­phone ou qu’à mots cou­verts. Ne jamais faire con­fi­ance à des incon­nus. Bien appren­dre le dis­cours offi­ciel et être capa­ble de le débiter au besoin.

C’est ain­si que la pop­u­la­tion, adultes et enfants, par­tic­i­pait con­sciente à une vaste farce : la « con­struc­tion du communisme ».

Mes par­ents : une mère comé­di­enne et un père graphiste, ne fai­saient pas par­tie de la nou­velle classe dirigeante. Très vite après la « libéra­tion » par les Sovié­tiques, ma mère, pour­tant jeune star­lette d’avant-guerre, ne trou­va plus d’engagement. Elle s’est fait engager, très dif­fi­cile­ment, dans un nou­veau théâtre des « Pio­nniers », où elle a dû jouer des rôles de petits garçons, dans les pièces de propagande.

Mon père a accep­té un emploi sub­al­terne dans une société. Tout en habi­tant dans un quarti­er chic, sur la Colline des Ros­es, la vie mis­éreuse de notre famille con­trastait avec ces lieux…

 

En 1956, la révolte de Budapest a changé notre vie…

Au moment où la gigan­tesque stat­ue de cet ogre a été abattue et la tête trans­portée à plusieurs kilo­mètres de là, les habi­tants de ce minus­cule pays ont eu la cer­ti­tude de la vic­toire ! Et même si, 10 jours plus tard, la dic­tature réus­sis­sait à pass­er en force et par la ruse, notre soif de lib­erté rongera inex­orable­ment le sys­tème communiste.

Mais pour l’heure, le pays est her­mé­tique­ment refer­mé : les radios occi­den­tales sont à nou­veau brouil­lées, les fron­tières sont ren­for­cées, pas de passe­port, sauf à des per­son­nes « sûres ». La répres­sion est partout et nous avons à nou­veau peur. Peur, mais elle est dif­férente : plus per­son­ne ne croit en la supéri­or­ité du sys­tème com­mu­niste. Même pas les dirigeants.

C’est ain­si que lente­ment, la Hon­grie devien­dra « la plus joyeuse baraque du camp communiste » !

L’étau se desserre lente­ment. Après une fer­me­ture totale des fron­tières en 56 – qui a eu pour but non pas d’empêcher les forces étrangères d’entrer, mais d’empêcher la pop­u­la­tion de fuir – les voy­ages seront à nou­veau autorisés à par­tir des années 60. D’abord vers les pays « frères », puis, sous cer­taines con­di­tions, vers l’Occident. On pou­vait par exem­ple aller à Vienne ou à Lon­dres, avec une invi­ta­tion. On avait droit dans ce cas à 5 $ d’argent « poche ».

Plus tard, les citoyens ont pu deman­der un passe­port tous les 5 ans, pour un voy­age de 30 jours max­i­mum. On leur accor­dait alors la per­mis­sion d’acheter une petite somme de devis­es. Pour ceux qui sont « restés dehors », la jus­tice a eu droit de con­fis­quer tous leurs biens, les con­damn­er à une peine de prison, inter­dire aux mem­bres de leur famille de voy­ager pen­dant 10 ans…

Puis, le régime a essayé d’étouffer les voix des opposants qui com­mençaient à se faire enten­dre ici ou là. On leur a « forte­ment » con­seil­lé de deman­der un passe­port et acheter un bil­let « aller sim­ple », vers une des­ti­na­tion de leur choix. C’est ain­si que toute une caté­gorie d’intellectuels et d’artistes ont quit­té la Hon­grie, pour ne revenir qu’après le change­ment de régime.

Le ver était dans le fruit et a fait son tra­vail jusqu’à la chute du mur de Berlin.

En été 1989, la Hon­grie a per­mis l’accélération de ce proces­sus vers la fin du « Bloc com­mu­niste ». Elle a ouvert sa fron­tière Autrichi­enne à des mil­liers de touristes Est-Alle­mands, massés devant les bar­belés. Ain­si ces gens ont pu retrou­ver la lib­erté et cer­tains leur famille à l’Ouest.

Ce geste est d’autant plus remar­quable que ceux qui ont pris cette déci­sion étaient des dirigeants du Par­ti Com­mu­niste. Le vent de la lib­erté se révéla plus fort, cette fois-ci. Peu de temps après, le Par­ti Com­mu­niste s’est sabor­dé lui-même, se trans­for­mant en par­tie Socialiste.

Les élec­tions réelle­ment libres ont eu lieu, avec un foi­son­nement de par­tis, tous can­di­dats pour réalis­er un renou­veau. Puis la Hon­grie a pu réin­té­gr­er l’Europe dont elle avait été coupée durant près de cinquante ans par le rideau de fer.

Le chemin est encore long pour que ce pays retrou­ve la sérénité. Durant ces dernières décen­nies les alter­nances poli­tiques se sont suc­cédées, avec des péri­odes clé­mentes et d’autres empoi­son­nées de chas­se aux sor­cières. Mal­heureuse­ment, le nation­al­isme et les idées de l’extrême droite revan­charde retrou­vent de l’écho par­mi une pop­u­la­tion frustrée.

Je reste opti­miste cepen­dant, car c’est un peu­ple for­mi­da­ble qui, depuis plus d’un mil­lé­naire, en a vu d’autres et a tou­jours su sur­mon­ter ses démons…